EPISODE 6 : Chronique d’une hécatombe annoncée

Un nouveau médicament pour déclencher l’accouchement est en train d’arriver sur le marché européen.
Il s’agit d’un dispositif à libération prolongée, un tampon comme le Propess® mais avec du misoprostol dedans (Le misoprostol c'est la molécule du Cytotec®). L’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) a été accordée en 2013 par l’EMA (l’Agence Européenne du Médicament) en procédure décentralisée.
Pour avoir une idée de ce qu’est la procédure décentralisée, voir cet article de la revue Prescrire.
En gros, la firme pharmaceutique choisit un pays (si possible pas trop regardant) pour étudier le dossier de demande d’AMM, et lorsque ce pays a donné son feu vert, l’AMM est valable pour toute l’Europe.
Un nouveau médicament ? Pour quoi faire ?
A-t-on enfin trouvé une formule plus sécuritaire pour la femme et le bébé ?
A-t-on réussi à rendre le déclenchement moins pénible ? Moins douloureux ?
Mieux que ça ! Ce nouveau médicament permet d’obtenir un accouchement plus rapide :
11 heures de gagnées sur le temps de l’accouchement.[1]
Du jamais vu ! Même le vieux protocole à 50µg (microgrammes) de Cytotec® ne permettait de gagner « que » 5 heures sur la durée de l’accouchement.
Mais alors… pour faire accoucher les dames encore plus vite qu’avec le Cytotec®, comment est-ce qu’on s’y prend ?
Facile : on augmente la dose ! Avec ce nouveau tampon, les dames recevront 200µg de misoprostol en 24 heures.
Le revers de la médaille ?
49% de tachysystole dans le groupe misoprostol contre 24% dans le groupe dinoprostone (la molécule du Propess®) [1].
(tachysytole = plus de 5 contractions sur une période de 10 mn. Si ça se prolonge, le bébé n’est plus correctement oxygéné, donc ça aboutit à la mort fœtale par asphyxie. Autres conséquences possibles de la tachysystole : rupture utérine, décollement du placenta, embolie amniotique, hémorragie du post partum…)
49% de tachysystole, là aussi c’est du jamais vu !!! Les vieilles études sur le Cytotec® font mentions de taux de tachysystole tournant autour de 10-15%, parfois 20 à 25% pour les dosages les plus élevés, mais 49%... même les protocoles les plus délirants n’ont jamais atteint ce taux[2;3;4;5;6;7;8;9;10].
Ce qui est amusant, c’est que l’auteure des essais cliniques pour ce nouveau produit (qui travaille sur le Cytotec® depuis plus de 20 ans), a expliqué en 1995 qu’elle renonçait au dosage de 50µg car elle obtenait un taux de tachysystole inacceptable de … 36,7%.
Mais bon, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, hein ?
Après tout, la tachysystole, c’est juste un signe avant coureur qu’il va y avoir de gros problèmes dans l’heure si on ne réagit pas rapidement.
Si on arrive à identifier la tachysystole avant que celle-ci ne dégénère, on peut toujours sauver la situation (enfin dans la plupart des cas).
Alors pour pallier les petits désagréments occasionnés par un utérus qui contracte trop, les auteurs de l’étude recommandent tout simplement… un monitorage performant, avec une équipe prête à réaliser une césarienne en urgence.
Tout le monde sait que dans nos maternités, les sages femmes n’ont rien d’autre à faire que de surveiller le-monito-de-la-dame-qui-est-déclenchée et de compter les contractions pour identifier une éventuelle tachysystole. (tiens, là ça fait 6 en 10 minutes, je vais rester plantée devant le monito 10 minutes de plus pour confirmer… Ah ? la dame du 5 est à dilatation complète ? Désolée, je surveille un monito super important, qu’elle se débrouille avec son mari.)The rate of tachysystole with fetal heart rate changes or tachysystole requiring intervention was three times higher with 200-microgram misoprostol vaginal inserts (13.3% compared with 4.0%). The use of the 200-microgram misoprostol vaginal insert therefore requires careful monitoring with timely recognition of tachysystole affecting the fetus and implementation of appropriate intervention, which may range from removal of the insert, to tocolytic treatment, to cesarean delivery.[11]
Mesdames les sages-femmes, vous vous y voyez ? C’est pourtant ce qui vous attend, et en cas de problème, c’est VOUS qui serez accusées de négligence pour ne pas avoir su identifier la tachysystole assassine.
Parmi les autres « petits soucis » arrivés au cours des essais cliniques :
Une rupture utérine, deux décollements placentaires (quand les contractions sont trop fortes, ça peut décoller le placenta), augmentation des encéphalopathies néonatales, des altérations du rythme cardiaque fœtal, des syndromes de détresse respiratoire du nouveau-né, des hémorragies du post-partum[12;13]…
Mais rassurez-vous mesdames, tout ça est pour votre bien. Si, si ! Les auteurs de l’étude se basent sur un questionnaire de satisfaction dont il ressort que les femmes déclenchées préféreraient un accouchement moins long[14].
Le questionnaire ne précise pas si les femmes préféreraient toujours un accouchement moins long si elles étaient informées des risques que cela comporte…
Quand on remplace la cigogne par un avion supersonique , il ne faut pas s’étonner que le
« colis » soit un peu « secoué ».
Références
[1] Wing, Deborah A. M D; Brown, Raymond M D; Plante, Lauren A. M D, M PH; M iller, Hugh M D; Rugarn, Olof M D, PhD; Powers, Barbara L. M SN, PhD, Misoprostol Vaginal Insert and Time to Vaginal Delivery: A Randomized Controlled Trial, Obstetrics & Gynecology, Volume 122(2, PART 1), August 2013, p 201–209
[2] Sanchez-Ramos L, Kaunitz AM, DelValle GO, Delke I, Schroeder PA,BrionesDK.Laborinductionwith the prostaglandin E1 methyl analogue misoprostol versus oxytocin: a randomized trial. Obstet Gynecol. 1993 Mar;81(3):332-6.
[3] Deborah A. Wing, MD, Ann Rahall, MD, Margaret M. Jones, MD, T. Murphy Goodwin, MD, and Richard H. Paul, MD Misoprostol: An effective agent for cervical ripening and labor induction - Am J Obstet Gynecol. 1995 Jun;172(6):1811-6.
[4] Wing DA, Ortiz-Omphroy G, Paul RH. A comparison of intermittent vaginal administration of misoprostol with continuous dinoprostone for cervical ripening and labor induction. Am J Obstet Gynecol. 1997 Sep;177(3):612-8.
[5] Carlan SJ, Blust D et al. Buccal versus intravaginal misoprostol administration for cervical ripening, Am J Obstet Gynecol 186 (2001):229-33
[6] Evangelos G Papanikolaou. Comparison of Misoprostol and Dinoprostone for elective induction of labour in nulliparous women at full term: A randomized prospective study, Reproductive Biology and Endocrinology 2004, 2:70
[7] Rozina Rasheed, Azra Ahsan Alam Shehnaz Younus, Farahnaz Raza. Oral versus vaginal Misoprostol forlabourinduction – Journal of Pakistan Medical Association
[8] Márcia Maria Auxiliadora de Aquino; José Guilherme Cecatti. Misoprostol versus oxytocin for labor induction in term and post-term pregnancy: randomized controlled trial. Sao Paulo Med. J. vol.121 no.3, 2003
[9] P.Rozenberg,S. Chevret, MV. Senat, F.Bretelle, AP. Bonnal, Y.Ville. A randomized trial that compared intravaginal misoprostol and dinoprostone vaginal insert in pregnancies at high risk of fetal distress. Am J Obstet Gynecol. 2004 Jul;191(1):247-53.
[10] Russel. Buccal Matches Vaginal Misoprostol in Efficacy http://www.obgynnews 15 mars 2008
[11] Wing, Deborah A. M D; Brown, Raymond M D; Plante, Lauren A. M D, M PH; M iller, Hugh M D; Rugarn, Olof M D, PhD; Powers, Barbara L. M SN, PhD, Misoprostol Vaginal Insert and Time to Vaginal Delivery: A Randomized Controlled Trial, Obstetrics & Gynecology, Volume 122(2, PART 1), August 2013, p 201–209
[12] https://docetp.mpa.se/LMF/Misodel%20vag ... %20PAR.pdf
[13] https://www.tga.gov.au/sites/default/fi ... 121002.pdf
[14] Shetty et al. Women’s perceptions, expectations and satisfaction with induced labour - a questionnaire-based study. Eur J Obstet Gyn R B 2005;123:56-61.

La pétition pour demander l’interdiction de l’utilisation détournée du cytotec dans les déclenchements d’accouchements est toujours en ligne sur le site de l'association Timéo et les Autres.
Retrouvez les autres épisodes du bêtisier :
- Episode 1 : Cachez ce décès que je ne saurais voir
- Episode 2 : Meuh non c’est pas dangereux !
- Episode 3 : Houston, on a un problème
- Episode 4 : Ça va plus vite… à la césa !
- Episode 5 : Petits tours de passe-passe
- Episode 6 : Chronique d’une hécatombe annoncée
- Episode 7 : Les yeux fermés (ou comment recruter des « volontaires » pour un essai clinique)
Crédits Illustrations : http://clipartof.com