
LE GRAND BÊTISIER DU MISOPROSTOL
EPISODE 7 : Les yeux fermés (ou comment recruter des « volontaires » pour un essai clinique)
Nous avons reçu récemment des témoignages de femmes ayant « participé de leur plein gré » à un essai clinique comparant deux médicaments pour déclencher l’accouchement. L’un de ces médicaments est autorisé dans cet usage, l’autre (le cytotec) ne l’est pas. Il s’agit donc d’un usage hors AMM (Autorisation de Mise sur le Marché). Un détail que ces dames auraient aimé connaître avant de signer un « consentement libre et éclairé ».
Un petit coup d’œil du côté de la législation permet de constater que, fort heureusement, la recherche clinique est une activité strictement encadrée et règlementée, notamment par les articles L1122-1 et L1122-2 du Code de la Santé Publique.
La première règle à respecter, avant d’inclure une personne dans une recherche, est celle de l’information :
Préalablement à la réalisation d'une recherche biomédicale sur une personne, celle-ci doit recevoir une information complète sur l'objectif de la recherche clinique, les bénéfices attendus et les risques potentiels, les éventuelles alternatives médicales, et bien entendu, le droit pour cette personne à refuser de participer à cette étude.
Ce n’est qu’après avoir reçu cette information claire et loyale (information orale accompagnée d’un document écrit), que la personne pourra donner son consentement.
Concernant les femmes enceintes, la Loi est plus restrictive. En effet, les articles L1121-5 du Code de la Santé Publique précisent qu’une recherche biomédicale ne peut être effectuée sur une femme enceinte que si « l'importance du bénéfice escompté pour elles-mêmes ou pour l'enfant est de nature à justifier le risque prévisible encouru ».
Pour ce qui est de la recherche qui nous intéresse (médicament autorisé contre médicament non autorisé), on peut se demander quel est ce bénéfice tellement important qu’il justifie un essai sur femmes enceintes. S’agissant d’un médicament destiné au déclenchement de l’accouchement, on pense immédiatement à un bénéfice en termes de sécurité : on sait bien que le déclenchement provoque des risques (souffrance fœtale, hémorragie, rupture utérine etc.) ; si un médicament permettait de déclencher avec moins de risques que les autres, là ça vaudrait le coup.
Or voici ce qu’une femme nous a dit de l’information qu’elle a reçue :
Un autre témoignage va dans le même sens :On m’a proposé de participer à une étude car il y aurait un autre médicament pour déclencher, moins cher mais tout aussi efficace. Jamais on ne m’a informée du danger de ce médicament.
On croit rêver ! Est-il possible qu’on se permette de faire des tests sur une femme qui accouche (dans une situation aussi délicate que celle du déclenchement), juste pour des questions économiques ?La sage-femme m'a dit que c'était un essai clinique et qu'elle tirerait au sort, qu'il y avait un médicament moins cher et un plus cher mais que cela revenait au même. Elle m'a fait signer un papier que je n'ai pas eu le temps de lire.
Pour en avoir le cœur net, nous sommes allés chercher ce que dit le promoteur de cette étude :
Pour info : Le misoprostol c'est la molécule du cytotec.Essai thérapeutique de non-infériorité, multicentrique dans les services de maternité. Il s’agit d’un essai randomisé conduit dans deux groupes parallèles et en simple aveugle. Un groupe expérimental sera traité par misoprostol vaginal 25μg et en parallèle un groupe traité par dinoprostone vaginale 10mg à libération continue (traitement de référence).
Essai de non-infériorité … ça veut dire qu’on cherche à prouver non pas que le médicament hors AMM est supérieur au traitement de référence, mais qu’il n’est pas inférieur ?!?
Et on va prétexter de cette « non infériorité » pour justifier l’utilisation du médicament le moins cher ?!?
Aucun bénéfice n’est attendu en matière de sécurité ou de tolérance ???
Je suis très étonnée qu’une telle recherche ait reçu un avis favorable du Comité de Protection des Personnes ainsi que l’autorisation de l’agence du médicament.
La sécurité liée à l’accouchement aurait-elle si peu de valeur ?
L’essai en question est présenté ainsi sur le site de la faculté de médecine qui travaille à ce projet :
Toujours aucune mention d’un quelconque bénéfice en matière de sécurité, mais par un subtil glissement sémantique, la « non-infériorité » devient « utilité ».Essai clinique randomisé CYTOPRO (NCT01765881) visant à évaluer l'utilité d'un traitement par misoprostol faible dose intravaginal dans la maturation cervicale pour déclenchement artificiel du travail de patientes singletons à terme avec un col utérin défavorable.
Ah ben oui, mais c’est bien sûr !!! Ce qui n’est pas inférieur est utile… pour le porte-monnaie.
Et pendant ce temps, des centaines de femmes sont « recrutées » pour cet essai clinique, sans avoir la moindre idée sur ce médicament pour lequel elles servent de cobayes.
Mesdames, si on vous « propose » de participer à un tirage au sort pour tester un nouveau médicament dans le cadre de votre accouchement déclenché, sachez que vous avez des droits, et en premier lieu le droit de refuser.
Avant de donner votre accord, exigez une information complète.
Sachant que l’information donnée au patient doit reprendre les éléments du RCP (résumé des caractéristiques du produit), voici à peu près à quoi ressemblerait une information loyale sur le cytotec :
« Madame, nous avons besoin de votre participation pour tester l’efficacité du cytotec dans le déclenchement de l’accouchement [on évite de parler de sécurité car de ce côté-là, la balance penchera en faveur du médicament autorisé].
Ce médicament n’est pas autorisé pour cet usage, c’est en fait un anti-ulcéreux gastrique, mais comme on s’est rendu compte qu’il provoquait des fausse couches, on a eu l’idée géniale de l’utiliser pour faire naître des enfants vivants.
La notice du médicament précise que le cytotec est contre indiqué chez les femmes enceintes et qu’il ne doit pas être administré autrement que par voie orale, mais nous prenons la liberté de passer outre ces recommandations.
Parmi les effets indésirables signalés : souffrances fœtales aiguës, hypercinésies utérines (= contractions trop rapprochées), hypertonies utérines (contractions qui ne se relâchent pas), ruptures utérines, hémorragies, décollement placentaire, embolie amniotique, décès …
Les autres médicaments comportent aussi des effets indésirables, mais comme on ne déclare pas ces effets aux services de pharmacovigilance, nous ne sommes pas en mesure de chiffrer les accidents qui ont eu lieu avec le cytotec.
Nous ne savons pas non plus quelle est la dose à ne pas dépasser, c’est d’ailleurs pour cela que nous avons besoin de votre participation.
Parmi les inconvénients du cytotec par rapport au médicament de référence, il faut savoir qu’en cas de complication (anomalie des contractions ou du rythme cardiaque fœtal), nous n’avons aucun moyen de stopper les effets du cytotec. Toute situation d’alerte vous conduira donc à la césarienne ou à une extraction en urgence. »
Vous signeriez, vous, avec une telle présentation ? Bien évidemment non.
Mais ce qu’il y a de pratique avec le déclenchement, c’est que les mamans sont tellement sous pression (surtout lorsque le déclenchement est justifié par une pathologie) qu’elles sont prêtes à signer sans lire pourvu qu’on fasse naître leur bébé. Voici le témoignage d’une « volontaire », raconté sur son blog :
Mais pour les cas où la femme demanderait à lire le document avant de signer, la partie « risque » du document d’information remise aux patiente est savamment édulcorée :On ne m'a pas laissé lire le document, me disant qu'il s'agissait de paperasse. J'ai eu la sensation que c'était urgent et qu'il fallait que je signe vite ce document, les yeux fermés, pour vite permettre à ma fille de sortir.
Heureusement, de plus en plus de femmes arrivent à trouver des informations sur Internet (sur le site de Timéo et les Autres par exemple), et refusent de participer à cet essai.Les risques inhérents à toute méthode de maturation cervicale et de déclenchement artificiel du travail sont : la survenue de diarrhées modérées de résolution spontanée, d’hypertonie utérine associée ou non à un état fœtal non rassurant (4-12%), de nausées transitoires et modérées, de vomissements, de douleurs abdominales, de maux de tête, de vertiges. Les risques spécifiques à l’utilisation du misoprostol sont l’apparition de fièvre et de frissons (transitoires).
Un refus qui est prévu dans le document d’information :
OUF ! Me direz-vous.Si vous choisissez de ne pas participer à cette étude, vous serez déclenchée par la méthode habituelle de la maternité.
Sauf que parmi les quatre maternités qui participent à l’étude, il y a Poissy, dont la méthode habituelle de déclenchement est …le cytotec !
Donc les femmes qui refusent de participer à l’essai sur le cytotec reçoivent … du cytotec.
Ou en résumé : « Soit vous êtes déclenchée au cytotec, soit vous acceptez de participer à notre essai clinique et vous avez une chance sur deux de recevoir du cytotec ».
On avait déjà dénoncé l’absence de choix dans cette maternité (voir notre post « Ces femmes qui fuient leur maternité »).
Voici ce que nous a écrit une « volontaire » ayant participé à l’essai clinique à Poissy :
« J'ai appris que le Cytotec était utilisé dans cet hôpital pour maturer le col. Après m'être renseignée sur le Cytotec, j'ai demandé à ce que mon col soit plutôt maturé à l'aide d'un tampon de Propess, comme c'est le cas dans les hôpitaux alentour. On m'a répondu que ce n'était pas possible. Si je souhaitais cela, j'avais deux solutions : accoucher dans un autre hôpital ou bien participer à l'essai Cytopro en cours dans l'hôpital, en espérant que le tirage au sort me soit favorable. »
Bien sûr, on lira dans la publication des résultats de l’essai clinique la formule habituelle : « Toutes les participantes ont donné un consentement libre et éclairé ». Consentement dont le promoteur de l’étude aura toutes les preuves sous forme de formulaires signés…
Si par malchance vous aussi avez « participé » à cet essai sans savoir ce qu’on vous donnait, apportez-nous votre témoignage. C’est le seul moyen de laisser une trace de tout cela.

La pétition pour demander l’interdiction de l’utilisation détournée du cytotec dans les déclenchements d’accouchements est toujours en ligne sur le site de l'association Timéo et les Autres.
Retrouvez les autres épisodes du bêtisier :
- Episode 1 : Cachez ce décès que je ne saurais voir
- Episode 2 : Meuh non c’est pas dangereux !
- Episode 3 : Houston, on a un problème
- Episode 4 : Ça va plus vite … à la césa !
- Episode 5 : Petits tours de passe-passe
- Episode 6 : Chronique d’une hécatombe annoncée
Crédits Illustrations : http://clipartof.com